Plainte contre la multinationale Nestlé au sujet de ses aliments pour bébés
Les bébés du Sud sont considérés comme “de seconde classe” : Le profit au détriment de la santé

“De l’Inde au Brésil, en passant par le Bangladesh et le Sénégal, Nestlé a été pris en pleine hypocrisie sur le ‘sucre pur’, accompagnée d’une méchante dose de néo-colonialisme”. Selon elle, “les générations actuelles et futures, en particulier dans les pays à revenu faible ou moyen, risquent leur santé si Nestlé continue à violer impunément les principes éducatifs (et éthiques) les plus élémentaires”

Denuncia contra Nestlé por sus alimentos infantiles Los bebés del Sur considerados como de segunda clase Las ganancias por sobre la salud 14 de mayo por Sergio Ferrari printer printer text Sede central de Nestlé. La multinacional Suiza de la alimentación en los ojos críticos de la sociedad civil internacional. Foto: Nestlé

Dans les pays à faible et moyen revenu les deux principales marques d’aliments pour bébés présentées par Nestlé comme “saines et essentielles” contiennent des niveaux élevés de sucre ajouté. Cela met en évidence la politique de deux poids deux mesures de la multinationale puisqu’en Suisse, ainsi qu’en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, ces produits sont vendus sans sucre ajouté.

Une étude récente menée par l’ONG suisse Public Eye en collaboration avec le Réseau international d’action pour l’alimentation infantile (IBFAN) montre deux types très différents de promotion et de vente des produits Nestlé dans les pays développés et dans les pays du Sud.

Les nourrissons d’Amérique latine parmi les victimes

Les céréales pour nourrissons et le lait en poudre offrent-ils vraiment “la meilleure nutrition possible”, comme le prétend Nestlé ? C’est la question que Public Eye et IBFAN se sont posée en lançant leur étude. La recherche s’est concentrée sur l’analyse de la composante sucre, l’un des principaux ennemis publics de toute alimentation équilibrée. Le résultat est sans appel : “Pour Nestlé, tous les bébés ne sont pas égaux face au sucre ajouté”. Concrètement, en Suisse, les céréales pour bébés de six mois de la marque Cerelac sont présentées comme “sans sucre ajouté”, alors que ce n’est pas le cas dans de nombreux pays du Sud.

Pour évaluer la présence de “sucres cachés”, les chercheurs ont rassemblé des produits Cerelac et Nido de différents pays afin d’examiner leurs étiquettes et, dans certains cas, de les faire analyser par un laboratoire spécialisé. Les résultats sont révélateurs : pour les céréales infantiles Cerelac, sur les 115 produits testés, vendus sur les principaux marchés de Nestlé en Amérique latine, en Afrique et en Asie, 108 d’entre eux (94%) contenaient des sucres ajoutés. Selon l’étude, “nous avons pu déterminer la quantité de sucres ajoutés dans 67 de ces produits. En moyenne, ils en contiennent près de 4 grammes par portion, soit environ un morceau de sucre. La quantité la plus élevée – 7,3 grammes par portion – a été trouvée dans un produit pour bébés de six mois commercialisé aux Philippines.

L’allaitement maternel ne progresse pas au même rythme que la consommation de laits en poudre produits et distribués par de grandes multinationales. Photo : ONU.

Au Brésil, deuxième marché mondial avec des ventes d’environ 150 millions de dollars en 2022, les trois quarts des céréales pour nourrissons de la marque Cerelac (commercialisées sous le nom de Mucilon) contiennent des sucres ajoutés, avec une moyenne de 3 grammes par portion.

“C’est extrêmement inquiétant”, déclare Rodrigo Vianna, épidémiologiste et professeur au département de nutrition de l’université fédérale de Paraíba au Brésil, cité dans l’étude de Public Eye et IBFAN. “Le sucre ne devrait pas être ajouté aux aliments destinés aux nourrissons et aux jeunes enfants, car il est inutile sur le plan nutritionnel et crée une forte dépendance. Les enfants réclameront des aliments de plus en plus sucrés, créant ainsi un cycle négatif qui augmentera le risque de troubles alimentaires à l’âge adulte, tels que l’obésité, ainsi que d’autres maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension”, déplore M. Vianna.

Quant au lait en poudre Nido, un autre produit de référence de la multinationale suisse, dont les ventes en 2022 avoisineront le milliard de dollars, 21 de ses 29 produits (72 %) distribués dans les pays à revenu faible ou intermédiaire contiennent des sucres ajoutés. La valeur la plus élevée – 5,3 grammes par portion – a été détectée dans un produit commercialisé au Panama. En outre, 4,3 grammes par portion ont également été trouvés dans ce même produit vendu au Nicaragua, 1,8 gramme par portion au Mexique et 1,6 gramme par portion au Costa Rica.

Bien que Nestlé annonce ces produits comme étant “sans saccharose”, juste du miel, ils contiennent toujours – comme l’affirme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – des quantités significatives de sucre puisque le miel et le saccharose sont tous deux considérés comme des sucres. Selon l’OMS, ni l’un ni l’autre ne devraient être ajoutés aux aliments pour bébés.

Les céréales pour bébés Cerelac à base de blé sont vendues sans sucre ajouté en Allemagne et au Royaume-Uni. Photo : Anne-Laure Lechat
Des bénéfices gigantesques

Nestlé contrôle actuellement un cinquième du marché des aliments pour bébés, qui représente environ 70 milliards de dollars. Ses deux marques phares, Cerelac et Nido, sont parmi les plus vendues dans plusieurs pays du Sud.

Les deux produits sont présentés comme essentiels pour aider les jeunes enfants à “mener une vie plus saine”. Le site web officiel de la multinationale indique : “Chez Nestlé, nous nous engageons à contribuer à la bonne qualité de vie de nos consommateurs et de ceux qui leur sont chers, en leur offrant les produits les plus savoureux, les plus sains et les plus naturels, importants pour une alimentation équilibrée”. Dans le cas des produits pour enfants, explique la multinationale, “nous accordons une attention particulière à l’équilibre nutritionnel” [1].

Le sucre dans les aliments pour bébés et la malbouffe pour les adolescents. Politique des multinationales en matière de malnutrition. Photo : ONU.

Pour l’Organisation mondiale de la santé, cette double formule est injustifiable. Selon Nigel Rollins, l’un des experts de l’OMS cité dans la recherche, le fait que Nestlé n’ajoute pas de sucre à ses produits vendus en Suisse, mais qu’elle soit pourtant tout à fait disposée à le faire dans les pays où les ressources sont plus rares, est “problématique d’un point de vue éthique et de santé publique”. Il explique que l’intention de ces entreprises est d’habituer les enfants à un certain niveau de sucre dès leur plus jeune âge afin qu’ils préfèrent plus tard les produits à forte teneur en sucre. C’est “totalement inapproprié”, affirme M. Rollins.

Violation des directives internationales

Selon les nouvelles lignes directrices pour la protection des enfants contre les effets néfastes du marketing alimentaire, publiées par l’OMS en juillet 2023, les enfants continuent d’être exposés à un marketing alimentaire puissant qui promeut principalement des aliments riches en acides gras saturés et trans, ainsi qu’en sucres libres et/ou en sodium. Tout cela est contraire à la bonne santé des enfants et en violation de plusieurs des droits inscrits dans la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant[2].

En février 2022, l’OMS – en collaboration avec l’Organisation des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) – a publié un rapport sur l’industrie du lait infantile. Ce rapport conclut que cette industrie, qui pèse actuellement 55 milliards de dollars, met systématiquement en œuvre des stratégies de marketing contraires à l’éthique.

Magasin couvert d’une publicité agressive pour les produits NIDO à Managua, Nicaragua. Photo : Laurent Gaberell.

Malgré les avantages évidents du lait maternel, le taux d’allaitement dans le monde a très peu augmenté au cours des deux dernières décennies, alors que les ventes de lait maternisé ont plus que doublé. En conséquence, seuls 44 % des enfants de moins de six mois dans le monde sont exclusivement nourris au sein. Dans leur rapport conjoint, l’OMS et l’UNICEF dénoncent le fait que l’industrie de l’alimentation infantile contribue de manière alarmante à cette disparité croissante par le biais de tactiques très discutables. Il s’agit notamment de cadeaux promotionnels destinés aux professionnels de la santé, du financement privilégié de leurs projets de recherche et même de commissions sur les ventes afin d’influencer les décisions des jeunes mères quant à l’alimentation préférée de leur bébé.

Légale… mais éthique ?

Dans le cadre de leurs recherches, Public Eye et IBFAN ont interrogé Nestlé sur cette double politique de promotion et de vente dans les pays du Nord et du Sud. Les réponses, qui font partie d’un document publié par les deux organisations en avril, sont formelles, légalistes et non spécifiques. Nestlé a déclaré avoir réduit de 11 % la quantité totale de sucres ajoutés dans ses céréales pour nourrissons au cours de la dernière décennie et continuera à le faire “sans compromettre la qualité, la sécurité et le goût”. En outre, elle poursuit le processus d’élimination du saccharose et du sirop de glucose de ses laits de croissance Nido. Enfin, elle affirme que ses produits sont “pleinement conformes” au Codex Alimentarius et aux législations nationales[3].

Suite à la publication de l’étude “Comment Nestlé rend les enfants dépendants du sucre dans les pays à faible revenu”, qui a eu un impact médiatique important, Nestlé a publié sa position sur ce sujet dans la section questions de son site web, dans une tentative de réduire l’importance du débat [4].

Public Eye et le réseau mondial dénoncent la concentration de sucres dans les aliments pour bébés. Photo : Public Eye.

Selon Nestlé, “nous appliquons partout les mêmes principes de nutrition, de santé et de bien-être. Tous nos aliments et laits pour les premières années de la vie sont nutritionnellement équilibrés et conformes aux directives scientifiques et aux recommandations diététiques communément admises.

En six points brefs et contradictoires, Nestlé nie que ses produits destinés aux enfants de moins de douze mois contiennent des sucres et affirme qu’elle continue à réduire les sucres ; que dans de nombreux pays, elle ajoute du fer et d’autres vitamines pour lutter contre la malnutrition infantile ; que sa politique d’information est toujours transparente ; et qu’elle respecte les législations nationales. Ces affirmations ne répondent cependant pas aux allégations objectives et bien argumentées de faits, de chiffres et de pourcentages incontestables de la recherche promue par Public Eye et IBFAM.

Pour Laurent Gaberell, chercheur à Public Eye et l’un des auteurs de l’étude, Nestlé ne répond pas directement aux critiques de l’étude. “On a l’impression que, pour Nestlé, “notre plainte n’est pas assez sérieuse et [qu’elle estime] qu’elle fait déjà beaucoup d’efforts pour améliorer ses produits”. Quant à la large couverture médiatique et au débat que cette recherche a suscité dans certains pays du Sud, où certains secteurs de la société civile sont prêts à faire de la question des aliments pour bébés une priorité, M. Gaberell estime que “c’est un très bon signe en ce qui concerne l’impact de notre travail”.

De son côté, sa collègue Géraldine Viret, chargée de communication de Public Eye, hausse le ton et souligne : “De l’Inde au Brésil, en passant par le Bangladesh et le Sénégal, Nestlé a été pris en pleine hypocrisie sur le ‘sucre pur’, accompagnée d’une méchante dose de néo-colonialisme”. Selon elle, “les générations actuelles et futures, en particulier dans les pays à revenu faible ou moyen, risquent leur santé si Nestlé continue à violer impunément les principes éducatifs (et éthiques) les plus élémentaires”[5].

Notas:

Sergio Ferrari pour La Pluma

Original: Denuncia contra Nestlé por sus alimentos infantiles
Los bebés del Sur considerados como de segunda clase : Las ganancias por sobre la salud

Traduit par Rosemarie Fournier*

Edité par María Piedad Ossaba

*Rosemarie Fournier est une bibliothécaire-enseignante suisse. Elle a travaillé plusieurs années en Amérique latine (Bolivie et Nicaragua) pour la coopération au développement, avec l’ONG E-CHANGER. Elle collabore régulièrement avec le journaliste Sergio Ferrari, traduisant ses articles en français.